Cinémathérapie : il y en aura pour tout le monde, parole d’expert-e-s ! EPISODE 3

Cinémathérapie : il y en aura pour tout le monde, parole d’expert-e-s ! EPISODE 3

29/11/2020 2 Par Cinémathérapie

« Le cinéma, une douce thérapie », interview de Patrice Gilly

Transcription de cette première interview par Charles de Clercq (critique cinéma sur RCF et sur chroniqueur sur le blog Cinecure


(Cliquez ici pour retrouvez l’article « 3 livres qui m’ont changé la vie où je parle de cet ouvrage)


Cinéthérapie et films marquants : « The Strawberry Statement« 

Nous venons de parler il y a quelques minutes des films qui sortent à Cannes, certains que j’ai vu en « projection-presse«  (séance réservée à des critiques et organisée avant la sortie nationale du film)
Aujourd’hui, nous allons parler non pas films, sinon de manière seconde mais de cinéma : j’ai un invité Patrice Gilly, Patrice Bonjour !

Bonjour Charles !

Alors, Patrice Gilly vous avez écrit « Le cinéma une douce thérapie, de soi à l’écran de l’écran à soi »
Ce bouquin m’a beaucoup touché ! C’est pourquoi je vous invite et pour nous en parler sur notre antenne.


Mais j’aimerais tout d’abord faire appel à votre mémoire musicale et cinématographique; donc je vous propose d’écouter un extrait…


C’est un extrait qui apparaît dans un film qui vous a touché quand vous aviez 15 ans, un film quasiment jamais présenté au public, mais qui vous a marqué…

BO du film The Strawberry statement
BO de « Des fraises et du sang »

Oui effectivement, c’était « Des fraises et du sang« , « The Strawberry Statement« , de Stuart Hagman qui n’a fait qu’un seul film d’ailleurs je crois…

C’est à la fin du film, c’est un sit-in, une manifestation d’étudiants à l’intérieur d’un grand amphithéâtre.
Ils s’étaient mis en grand rond, ils tapaient des pieds et des mains sur le sol, se levaient, s’abaissaient etc. Et la police est intervenue pour les faire évacuer des lieux…

Il y en a beaucoup qui se sont fait taper dessus vraiment !

Ils se sont fait taper dessus et c’était très violent, ça m’a marqué

(ami-e-s anglophones, cliquez ici pour visionner un documentaire de 1960 intitulé « Sit-in »)

Sit-in étudiant, scène forte « Des fraises et du sang »


Cinéma : madeleine de Proust musicale !


Mais c’est un film qui était très musical, puisque l’essentiel de la bande sonore était due à Crosby Still & Nash, donc je crois que c’est dans les années 70 c’est ça ?
(cliquez ici pour découvrir la bande originale)

Oui, c’est ça !

Il y avait aussi une autre musique dans ce film, et c’est très, très, bizarre…
Elle a tourné, tourné, tourné dans ma tête depuis carrément cette époque-là jusqu’à maintenant !
Et c’est une musique qui me vient dans des endroits particuliers, dans les situations particulières… C’est quand j’attends.
Quand j’attends quelque chose, quand j’attends le train, j’attends le métro, j’attends quelqu’un…

Et c’est drôle l’air ne me revient pas, mais c’est « Our House« , « Notre maison« .
Et quand j’ai revu le film pour écrire le livre, j’ai enfin compris pourquoi cette musique me trottait dans la tête comme ça… (il fredonne)

« Our House » colle à une scène où deux étudiants, un garçon et une fille, viennent de se rencontrer.
Et ils vont sur un carrousel. Ils ne sont pas l’un à côté de l’autre, ils sont aux antipodes !
Le carrousel tourne. Et la musique « Notre house« . Et donc ils tournent, ils se rapprochent… Mais ils sont encore éloignés, mais ils tournent déjà ensemble…
C’est pas merveilleux ça ?!

Extrait de « Des fraises et du sang », fameuse chanson « Our house »


Cinémathérapie : des films qui parlent de soi….


En tout cas, tout ça revient votre mémoire, par cet extrait musical !
Votre bouquin est structuré grosso-modo en deux parties

Les 4 premiers chapitres, c’est un peu votre expérience cinématographique depuis votre toute petite enfance.
Puis, ces films que vous avez vu et qui vous ont marqué


Et moi-même j’ai fait votre connaissance, en fait j’ai vu qui vous étiez, quand je vous ai vu l’année dernière en projection de presse, et on parlait de « Kevin »…
Un film « ll nous faut parler de Kevin » avec un jeune acteur Ezra Miller..

Vous posez des questions sur ce film
Mais l’acteur qui est dedans, Ezra Miller, joue aussi dans « Le monde de Charlie » et c’est aussi un film qui vous a touché

affiche film Le monde de Charlie
« Le monde de Charlie« 
affiche film Il faut qu'on parle de Kevin
« We need to talk about Kevin« , adapté par Lynne Ramsay

Je parle de ces deux films parce que pour vous, les émotions sont importantes ! Ce qu’on peut ressentir, ce qu’on peut dire !

Oui absolument !
Les émotions sont importantes à condition qu’après elles débouchent sur autre chose, sur une réflexion, une perception… C’est-à-dire un sens que l’on donne après-coup aux émotions que l’on a ressenties..

Alors vous parler de ces deux films…
En fait, j’ai ressenti beaucoup d’émotions par exemple pour « Le monde de Charlie« .

Scène inspirante du Monde de Charlie : Lettre finale, ôde à la Vie !


Et l’autre (« Il faut qu’on parle de Kevin« ) où je n’ai quasiment rien ressenti; sinon que j’étais très rigide, fermé, tellement ce film me glaçait de derrière l’image !

Et je me suis demandé pourquoi.
Parce qu’il est toujours intéressant de se demander pourquoi un film vous rebute, où vous laisse indifférent, vous irrite

Et je me suis dit qu’en fait, ce film était trop structuré, ne laissait pas de place justement aux émotions.
Parce que ce sont deux personnes, la mère et le fils, qui n’arrivent pas à entrer dans les émotions de l’autre
Et pour moi ça c’est quelque chose qui me bloque, vraiment !


Une bande-annonce qui donne le ton : de « Il faut qu’on parle de Kevin »

Cinébiographie : cinéma-émoi et moi !


Un film qui est d’ailleurs tiré d’un roman, où la mère écrit des lettres….
En revanche, moi j’ai beaucoup aimé ce film ! Et j’ai lu le roman par après.

(cliquez ici pour visionner une interview de l’auteur du roman « We need to talk about Kevin »)

Ça veut dire qu’en tout cas on peut avoir des émotions, des perceptions différentes d’un film…

Vous donnez dans ce premier chapitre, quelques clés de lecture, des questions que le lecteur peut se poser.

Oui, mon idée c’était finalement à travers cette ciné-biographie de voir un peu le cheminement, de ma « cinémoïthèque« ..

C’est le nom de votre blog… On y reviendra tout à l’heure…

C’est « ce qui m’a mis en émoi ».

Alors ces films m’ont accompagné à certains moments de ma vie, des moments cruciaux, difficiles, des moments de questionnements
Comme vous dites, depuis ma première enfance jusqu’à maintenant.

Et donc à travers ces films, j’ai voulu montrer aux personnes, à partir de la matière première qui était moi, que le cinéma pouvait être quelque chose qui pouvait divertir certes, mais aussi faire réfléchir…
Faire sublimer aussi certaines situations difficiles.

Démarches cinémathérapeutiques : mouvances entre réel et illusions

Donc le cinéma : pas seulement un loisir…
C’est presque une thérapie, on y reviendra tout à l’heure ?

C’est une thérapie.
Ca peut être envisagé comme une thérapie, à condition que l’on soit décidé, ouvert, à un retour sur soi.
Ou en tout cas, à sortir des points de vue figés que l’on peut avoir sur le monde, les autres, soi-même…

Parce que le cinéma est un puissant excitant imaginaire !
Parce qu’il allie de la musique, l’image, le son, la parole, la couleur…

Et comme disait Edgar Morin, c’est un art qui est polysémique, mais qui donne tellement l’illusion de la réalité, qu’on finit par croire que l’illusion est réalité.
Et c’est ça : ce va-et-vient entre l’illusion, la réalité. Entre soi et l’écran, entre l’écran et soiEntre l’introspection et l’extraversion que l’on peut avoir…
Parce que quand on a vu un film qui vous a enthousiasmé
Moi j’ai toujours envie, en sortant de, si je suis seul, héler le spectateur et lui dire : « et alors ? C’était formidable non ?!« 

Ça vous plaît en tout cas de parler des films après une projection de presse… Ou simplement après avoir été voir un film seul ou avec des amis, d’en parler après ?

Oui, si on considère que le cinéma peut-être thérapeutique, et qu’il a beaucoup de potentiel thérapeutique, si, après on parle ensemble du film; ou plutôt « des films » qu’on a vu.

(cliquez ici pour accéder à mon onglet « THE défi » où vous retrouverez 13 interviews où chacun-e partage ses films inspirants)


Filmothérapie : à chacun sa pépite !


Parce que, quand on va au cinéma, chacun voit un film. Qui est celui qui a été imaginé, monté par une pléiade de personnes ! Réalisateur, monteur, scénariste, technicien, caméraman…

Et puis, il y a celui que vous avez vu.
En sélectionnant certains moments-clés, qui vous semblent des moments-clés en fonction de votre histoire, de votre état d’humeur du moment…

Et puis, vous refaites votre petit film à vous ! Vous montez votre film !
Donc ce n’est pas le même que celui du copain, ou du voisin !

En fait, on pourrait voir des choses dans les films que le réalisateur n’a pas voulu mettre ou le monteur ?

Absolument oui !
Mais nous y voyons ce qui fait sens pour nous, et ce qui nous semble cohérent, et ce qui nous a touché aussi
Qui n’est pas forcément le même regard que le réalisateur ou que le regard de mon voisin.


Et il ne faut pas nécessairement des films d’auteur ?

Non, non…
J’aime bien les films d’auteur, mais un film pour moi, un « bon » film, je n’aime pas ce mot-là… un film « intéressant », à partir du moment où il parle, et qu’il peut parler au plus grand nombre
Le cinéma est un média populaire.
Qui est accessible un peu partout… Sur internet, sur DVD, au cinéma, dans les salles, à la télévision…

Et on peut ne pas entrer dans un langage complètement abstrait, ou peut-être trop élitiste qui nous couperait alors…

Il y en a qui prétendent que le cinéma n’est intéressant qu’à partir du moment où il est dérangeant, ou novateur.
Moi je trouve que les deux peuvent exister et coexister… Et que chacun pourra prendre ce qu’il veut.

Et donc, on peut voir des films en acceptant d’y aller pour pleurer, parce que c’est hyper sentimental, parce que c’est une histoire d’amour… ?! Peut-être rempli de clichés, parce qu’elle parle de rêves, et de choses de ce genre-là.

Cinéma inspirant : storytelling et réalités

Oui, voilà !
Un film que je crois vous n’avez pas spécialement aimé, que j’ai été voir hier, en salle qui est « Suite française ».

affiche film Suite francaise
Affiche du film « Suite française »

C’est très drôle parce que je trouvais qu’il se dégageait de ce film, quelque chose d’une émotion qui était impalpable, indicible…
Il y avait quelque chose qui me semblait bien réel.
Bizarre !

Et après, j’ai vu en fait à la fin du film, que ce film était tiré

… de carnets écrits par une juive…

Irène Némirovsky.

Archive INA : interview de Irène Némirovsky sur le livre de sa mère


Oui, et sa fille a retrouvé ses carnets 50 ans après
En fait, elle les avait chez elle, mais elle croyait que c’était des carnets intimes.

roman suite francaise


Mais en fait, c’était 5 romans que sa mère avait écrit, et que voilà elle avait retrouvés !

(cliquez ici pour un article de Télérama sur le roman « Suite Française »)

Et, elle disait à la fin du film « merci au cinéma de m’avoir permis de montrer ça à l’écran » !

(cliquez ici pour lire un article sur le site « VNI e-mag de l’éducation » : Suite Française et Histoire)

Alors moi je me dis, que si le réalisateur a rencontré la fille de la romancière, et que le courant est passé, que ce courant-là a été transmis d’une façon ou d’une autre à la pellicule… !

Et j’ajoute bien « à la pellicule », puisque elle a tourné en 35 mm, ce qui donne encore une texture, une consistance beaucoup plus charnelle…

Que le numérique ?

Que le numérique voilà !

(cliquez ici pour lire l’article de Télérama : « pellicule vs numérique »)

En tout cas merci, on pourrait vous entendre durant des heures, vous écoutez pendant des heures !

Tout à l’heure ou bientôt en tout cas, nous allons parler de votre bouquin.
Et les fiches, vous avez analysé 28 films
On ne va pas parler de ces 28 films, mais montrer comment se structurent un peu ces films. Comment le lecteur peut travailler sur ses films là, ou sur d’autres…


Et aussi, vous proposez les ateliers de « cinéthérapie » si je puis dire.
Et donc nous verrons un peu comment ça se passe, donner quelques indications, quelques liens éventuels…

(cliquez ici pour retrouver une autre interview de P. Gilly à ce sujet)


En tout cas, déjà merci d’avoir partagé votre expérience pour cette émission, et au plaisir de vous revoir !

Merci à vous Charles !

(cliquez ici pour le second volet de cette interview de P. Gilly)

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