“En thérapie” : une série en analyse, séance 14

“En thérapie” : une série en analyse, séance 14

25/03/2021 6 Par Cinémathérapie


Foi en la thérapie…

Hier, nous avons pu voir en quoi la série « En thérapie » était si singulière
Du sujet dont elle traite, à sa date de sortie, en passant par sa mise en scène très sobre

Si elle se déroule dans le cabinet d’un psy c’est parce que, Hagai Levi, créateur de BeTipul, série originelle israélienne, s’est inspiré de sa propre expérience.

Suite à une scolarité dans un établissement ultra-religieux en Israël, il a ressenti le besoin de consulter.

Il confie ainsi à France Info : « Je suis allé pour la première fois chez un psychanalyste, et ensuite quasiment toute ma vie, j’ai suivi une thérapie. Alors ce lieu clinique, cette pièce est un lieu très important dans ma vie. »

Cet attrait pour le travail sur soi, nombre dans l’équipe de « En thérapie » le partagent.
En effet, se disent adeptes de la psychanalyse : le duo de réalisateurs Éric Toledano et Olivier Nakache, les co-auteurs David Elkaïm et Vincent Poymiro, et parmi les acteurs Frédéric Pierrot notamment…


Tou-te-s en analyse !

Elle renvoie chacun-e à sa propre intériorité en nous permettant de plonger dans la vie psychique des différents personnages (patients et psys).

Cependant, même le tournage (qui fût épique étant donné la longueur des dialogues et sa courte durée) a pu offrir aux acteurs et actrices une véritable introspection !

Frédéric Pierrot, dont on ne peut que saluer la performance en tant que personnage principal, a pu en témoigner à Télérama
Il a même profité de la bibliothèque de son personnage pour parcourir quelques ouvrages de Jung et de Lacan !

« En thérapie » bénéficie clairement d’un très bon casting : chaque patient-e est très bien incarné, humanisé-e

On sent que toute l’équipe s’est impliquée, d’ailleurs hier nous avons pu découvrir dans quelle ambiance quasi « religieuse » le tournage s’était déroulé !


La scène pour divan ?

Nous l’avons vu hier, que ce soit Carole Bouquet, Mélanie Thierry ou encore Frédéric Pierrot, chacun-e a pu partager le trouble qui pouvait parfois les saisir lors d’une scène…

Frédéric Pierrot peut ainsi rapporter plusieurs scènes où ils ont pu laisser échapper un lapsus, notamment à connotation sexuelle, eu des fou-rire nerveux !

Par ailleurs, il retiendra un moment très singulier, marquant, alors qu’il joue Dayan face à Ariane, cette dernière prononce un « maman », là où elle devait pourtant dire « papa »…

Jouer un tel scénario peut amener à ne justement plus « faire semblant », être soi-même dépassé-e, traversé-e

Le jeu n’est alors plus tout à fait du jeu, mais peut devenir du « je » !


En thérapie en soi

Carole Bouquet redit que malgré une sorte de double « confinement » (!) : d’un texte à réciter au mot prés et d’un décor en huis clos, quelque chose d’intime (s’)échappait de soi.

Elle peut même faire part d’une sorte de vertige, du fait d’être filmée face caméra, en gros-plan pour de longs monologues. Elle explique que on pourrait croire que «  (…) pour jouer la comédie, il faut se détacher de soi. », mais que pourtant l’expérience nous apprend « qu’on y met, au contraire, beaucoup de soi-même ».

L’un des réalisateurs, Toledano reconnaît que du fait de la durée des prises, une certaine confusion facilitée également par la fatigue, peut émerger…

En tant que personnage on ne sait plus toujours très bien qui parle de l’acteur-rice ou du patient, de la patiente, qui s’adresse à qui, ni ce qui s’adresse vraiment.

Cette sorte de mise à nu que projet sériel demandait aux comédien-ne-s, il est intéressant de constater qu’elle s’est manifestée jusque dans le générique

Une forme d’impudeur, plus ou moins consciente, en tout cas assumée par Éric Toledano : « J’ai pris tous les ratés de mon père » !

En effet, il a conçu le générique à partir d’images en 8 mm tirées de ses archives familiales.

Générique de En thérapie



Une thérapie pour tou-te-s

Cette série intimiste démontre aussi l’importance de la présence, de la présence à soi, à l’autre

Comme nous l’avons déjà évoqué dans l’article précédent, son succès peut donc s’interpréter à la lueur des temps difficiles que nous traversons, où le présentiel semble banni

Cela peut en tout cas apporter une occasion de découvrir la psychanalyse, de pouvoir réfléchir à l’intérêt et le déroulé de cette forme de thérapie.

Plusieurs praticiens du champ de la Santé Mentale, s’exprimant lors de diverses interviews, pensent qu’au-delà d’une éventuelle réhabilitation de l’analyse en France, « En thérapie » pourrait bien faire tomber quelques résistances.

Parce qu’ « Aujourd’hui encore, on ne dit pas “je vais voir un psy”, on dit “je vais voir quelqu’un” », fait remarquer Olivier Nakache.

Or, l’intention affirmée de Hagai Levi est de pouvoir déstigmatiser la demande de soin.

En effet, lors d’une interview accordée à Télérama en 2019 il raconte : « J’étais un adolescent très anxieux, frappé de crises de panique, de dépression. À l’âge de 17 ans, je suis entré en thérapie, et je n’ai jamais arrêté depuis. À l’époque, je l’ai vécu comme une honte, (…) Aujourd’hui, ça s’est normalisé. Mais il me semblait très important de dire que des gens tout à fait normaux suivent une thérapie, que ce n’est pas un truc réservé aux fous. »


Série intéractive…


Côté téléspectateurs-rices, au fil des 35 épisodes de l’adaptation française, l’on est amené-e à (re)découvrir la teneur d’une séance, le cadre thérapeutique, d’une rencontre avec un psy

C’est d’ailleurs là aussi l’une des ambitions initiales du tandem Nakache-Toledano et de leurs 5 autres coauteurs. A savoir de donner un aperçu du travail psychanalytique contemporain.

Si, depuis son canapé, l’on peut se sentir comme à la place d’un analyste silencieux, essayant de se représenter la vie intérieure de ces patient-e-s à l’écran, d’en interpréter les non-dits

On peut se surprendre à vouloir réagir à la place de Dayan, à anticiper la réponse d’un-e patient-e…

Par ailleurs, on peut relever le fait que visiblement nombreux sont les personnages, Dayan compris, ayant une problématique en lien avec la figure paternelle.

Mais on peut aussi et surtout être renvoyé-e à soi.
A ce que nous, nous aurions dit « à la place de », que nous n’aurions pas osé dire, aurions ou non toléré, désiré, attendu…

On peut choisir de méditer pour soi quant à la grille d’analyse proposée par Dayan face aux confidences qu’il reçoit, ou les passages à l’acte dont il est le témoin (et parfois l’auteur !).


Thérapie et société

Ces différents hommes et femmes, aux souffrances et parcours singuliers nous montrent leurs différents côtés, tantôt lumineux, tantôt sombres.

Aussi, même si cette patientèle parisienne n’est pas nécessairement des plus représentatives de la population actuelle française, chacun-e pourra y retrouver une part de ce qui fait notre humanité commune.

De même, Phillippe Dayan, cinquantenaire, blanc, marié et père d’un garçon et d’une fille, habitant le 11iéme, ne propose pas une figure des plus originale pour un psychiatre-psychanalyste !

Mais, le fait que nous puissions le voir dans ses fragilités, ses incohérences, ses tergiversations peut participer à désidéaliser la figure du psy en tant que « sujet supposé savoir ».

Voulant combattre quelques idées reçues, Toledano tient à rappeler que « la psychanalyse n’est pas un truc réservé aux intellos, aux élites parisiennes ».

Cliquez ici pour découvrir des témoignages de téléspectateurs-rices !


Dayan : psy freudolacanien !


Par ailleurs, plusieurs thématiques sont abordées au fil des épisodes qui s’inscrivent dans notre actualité : harcèlement sexuel, abus sur mineurs, immigration…

Et un autre point que l’on peut relever, est incarné par Dayan dans le cadre de son exercice professionnel.
En effet, il est décrit par Emmanuel Valat, psychanalyste parisien, chargé de « superviser » l’écriture scénaristique et par l’un des co-scénaristes Vincent Poymiro : « freudien et lacanien ».

Si dès la scène d’ouverture nous pouvons découvrir la patiente, Ariane, allongée sur le divan, l’immense majorité des séances qui se déroulent à l’écran se feront en face à face assis.

Le message passé pourrait être qu’il est possible de faire (co)exister différents types de thérapies en un même cabinet. Qu’il s’agit donc pour le praticien, de savoir parfois faire preuve également d’une certaine souplesse pour pouvoir adapter la forme aux besoins et profils des patient-e-s.

Cet exemple de pratique analytique exercée par Dayan, ne plaira pas à tout le monde !


Thérapies et Sociétés psychanalytiques

Certains professionnels pourront y retrouver, comme relève Adrienne Fréjacques (chargée du programme à Arte) :
« Les frictions (…) et les querelles entre les différentes écoles (…) éclairées et incarnées », notamment par les positions presque opposées qu’adoptent Philippe Dayan d’un côté, et Esther (qu’il consulte pour lui-même les vendredis).

A ce propos, Carole Bouquet remarque que Dayan « ne peut pas travailler (…) sans se mettre à la place de ses patients, sans voir le monde autour. Tandis que mon personnage, Esther, tient une position beaucoup plus dure, rigide – en un mot, ancienne. »

Adrienne Fréjacques peut ironiser au sujet de ce débat « ancienne/moderne », « bonne/mauvaise » pratique, en matière de psychanalyse française : « On espère bien que ça fera réagir les praticiens de tous horizons ! ».

Elle peut d’ailleurs confirmer que dès la préparation de ce feuilleton, l’équipe a constaté la persistance d’ « un tabou français de la psychanalyse ».

Tabou qui lui apparait cependant « très paradoxal » étant donné le rôle qu’a pu jouer la France « dans l’épanouissement de la discipline ».

Je vous propose demain de pouvoir poursuivre sur ces questions soulevées par la pratique thérapeutique portée à l’écran par le Dr Dayan…

Nous pourrons relever auprès de divers professionnels les points forts de la série et ceux qui prêtent à discussion.

Cet article s’inscrit dans le défi Objectif Mars

Je compte sur votre soutien durant ce défi 😉
Hâte de lire vos retours !

Et…

demain cher-e-s spect’ACTEURS et spect’ACTRICES !


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