Cinémathérapie : il y en aura pour tout le monde, parole d’expert-e-s ! EPISODE 5

Cinémathérapie : il y en aura pour tout le monde, parole d’expert-e-s ! EPISODE 5

24/01/2021 4 Par Cinémathérapie


« Ciné-narration, une façon d’être« , interview de Patrice Gilly

livre cinémathérapie Patrice Gilly

Transcription d’une troisième interview par Charles de Clercq (critique cinéma sur RCF et sur chroniqueur sur le blog Cinecure


La ciné-narration, parlons-en !

Nous avons le plaisir de recevoir en studio Patrice Gilly,
Patrice bonjour !

Bonjour Charles !

Nous vous avons déjà reçu il y a 3 ans, parce que vous aviez écrit un bouquin à l’époque donc vous pouvez peut-être rappeler le titre à nos auditeurs…

« Le cinéma une douce thérapie« 

Nous poursuivons toujours avec le cinéma.
Votre nouveau livre qui est sorti depuis quelques semaines en librairie s’intitule « Ciné Narration, une façon d’être  » avec comme sous-titre « Du récit de film à la conscience de soi ».

Vous écrivez donc toujours à propos de cinéma, mais aussi du fait de pouvoir en parler, s’en parler, en parler aux autres ?

De cinéma et d’histoires de cinéma, d’histoires de films.
Un film c’est une histoire, une histoire qui nous parle… et une histoire qui nous parle, on a envie d’en parler !

Et le plaisir du cinéma, étant ce qu’il est – c’est-à-dire grand – on a parfois envie de prolonger…

Alors pourquoi pas le prolonger en parlant du film que l’on vient de voir avec des spectateurs, connus ou inconnus, qui étaient avec nous, autour d’un verre, autour d’un repas… ?

Et voilà, c’est ça que j’ai eu l’idée de faire !
C’est, comment dire, à partir de l’expérience vécue, de montrer comment il était possible de prendre la parole après une séance de cinéma…

Posture de spect’acteur : laissez-vous vibrer !

Votre premier livre parlait plutôt d’expériences, on va pas dire « thérapeutiques« , mais une façon de s’en sortir en ayant des films en thème d’entretiens, dialogues, d’échanges à plusieurs…

Ce ne sont plus ces ateliers donc il est question ici ?

Les ateliers constituent une partie du film, du livre; c’est un lapsus que je commets souvent !
Mais l’essentiel du livre, c’est tout de même, toutes les fois où nous avons eu l’occasion de parler d’un film.

Et aussi au départ, un peu « tracer le paysage » qui nous permet de vibrer, et de vibrer dans la narration d’un film après l’avoir vu…

Il y a eu la posture de spectateur :
« Est-ce que je vais voir un film pour confirmer mes valeurs, me faire plaisir, me divertir, pour réfléchir…?
« Est-ce que je m’engage dans le film, ou est-ce que je reste à distance du film? »

Toujours est-il que il y a aussi le « noyau vibratoire » du film parce qu’un film…

cinenarration : recits de film et cinematherapie

Cinéthérapie : histoires de résonnance et dissonance

Qu’est ce à dire?

Ah ben voilà : il y a un réalisateur de film, un scénariste, des techniciens, les interprètes…
Il y a une histoire de départ. Parfois une histoire complètement imaginée ou fictive. De plus en plus souvent maintenant, des films qui sont tirés de faits réels, d’histoires vécues…
Et ces films-là, pour peu que le réalisateur se l’est appropriée, vibre d’une certaine façon.
Il y a alors un effet de résonance… En tout cas d’écho, avec sa propre histoire personnelle de spectateur !

Résonance qui peut être dissonante parfois peut-être ?

Absolument ! Il y a résonance plus et résonance moins…
Et, la dissonance est intéressante aussi.

Parce que souvent quand on entend un son dissonant, on essaie de régler la radio, de régler la télé.
Ou on essaie d’écouter dans ce que l’autre nous dit, ce qui fait matière à dissonance aussi…

Ça nous amène à voir, à cerner pourquoi est-ce qu’on a été en dissonance avec le film. Ou pourquoi nous avons été complètement glacé par un film… Ou même après.

Fin du film, début de la cinéthérapie…

Vous avez donc entendu des récits ?

Oui, j’ai entendu des récits, je les ai provoqués aussi !
Soit parfois frontalement avant une séance de cinéma.
Parfois aussi, au sortir d’un film, où nous étions peu nombreux dans la salle.
Y’a un regard échangé à la fin de la projection, un parcours dans un couloir qui nous mène vers la ville, la vie bruyante…
Et là, il y a parfois un dialogue qui se noue. Comme cette dame après un film, je crois que c’était « Truman« . C’est ça, un film espagnol, où l’on voyait un… c’est drôle parce que…

Avec Ricardo Darin ?

Oui c’est ça !
Mais… il y a une interférence avec l’invité précédent, c’est ça qui extraordinaire !

C’est une personne qui décide de ne plus faire ses chimiothérapies, et qui décide de vivre pleinement les quelques mois, et quelques semaines qu’il lui reste à vivre… Et il invite un ami, et voilà…

« Truman » : une amitié vivante !


Et cette dame en sortant de ce film, dit : « Ah moi c’est extraordinaire, ça m’a confirmé dans ce que je voulais faire! Moi aussi si jamais ça m’arrive, je ferais jamais de chimio! J’ai fait un document, c’est signé; mes enfants sont au courant.. Parce que ça a été comme ça pour mon mari et voilà… »
Boum, paf ! Voilà, comme ça sur un trottoir au sortir d’un film… C’est incroyable !

Un film peut en cacher un autre !

Est ce que vous avez rencontré des personnes qui ont vu un film et qui après l’avoir revu, ou avec en ayant parlé avec d’autres, ont eu une autre narration ? Une autre relecture du film ?

Oui ! Ça arrive très souvent !
Parce que la diversité des récits, des regards, les mots employés aussi… Entraînent chez celui qui écoute, un autre regard sur son propre récit. Sur sa propre vision du film.
Tout d’un coup, voilà un champ qui lui apparaît et qui lui était resté complètement étranger.

Donc, s’il est ouvert, disponible, et en confiance aussi c’est important, il va avoir envie de creuser un peu dans ce champ… De voir quel sillon il peut y mettre…
Donc oui, il y a des points de vue qui changent, qui s’enrichissent ! Et c’est ça qui est passionnant dans une discussion ! Ou dans une narration…

Figurez-vous qu’en entendant « champ », c’est bien entendu un champ qu’on peut labourer, j’ai entendu aussi en résonance, un « chant » que l’on pouvait chanter…
Comme « Zorba le grec » qui chante sur sa défaite et qui ouvre des espoirs pour l’avenir…

« Zorba le grec » : une dernière danse… !


« Ciné-narration » : façon d’être dense, mais légère !


On va revenir quand même à votre livre, il est structuré comment ?
En fait, ce n’est pas un livre très difficile à lire, mais il a une certaine densité quand même…

Oui, il a une densité qui est d’abord due au caractères employés par l’éditeur, qui aime bien utiliser le moins de papier possible !

Pour des raisons écologiques sûrement ?

Oui, et des raisons économiques aussi sûrement.
C’est un texte qui est assez serré, il est dense oui. Mais me semble-t-il, plus léger que l’autre
Enfin vous me le direz Charles !
Parce qu’il y a beaucoup de saynètes, d’historiettes, de récits, …

Que l’on prend plaisir à lire quand on a vu les films dont vous faites écho ! Parce que vous avez une table des matières et vous reprenez les films dans les questions, dans les narrations…
On prend plaisir à découvrir le regard, la lecture d’une autre personne ou d’autres personnes, qu’on peut avoir sur un film…

Absolument !


Cinémathérapie et temporalité : arrêt sur image


Il y a une partie du livre à laquelle je tiens beaucoup.
Dans la première partie où l’on voit un peu se dessiner le contour du spectateur, potentiellement narrateur, engagé dans un film, une narration : c’est la temporalité.

La temporalité parce que le cinéma, c’est tout de même une coupure dans le temps. Il y a une interruption, une rupture dans le flux continu du temps qui s’écoule et dans lequel nous naviguons parfois à rames forcées…

Et là, poup : on s’arrête ! Silence, pénombre !
Et, on reste là sans bouger pendant 2 heures.
C’est tout de même assez extraordinaire à notre époque. Et je crois qu’on a l’impression souvent de vivre un moment d’exception.
Je dis pas exceptionnel, mais d’exception.


Ciné-clubs : convivialité et regards pluriels


Et cette exception, on a envie de la prolonger avec des gens qui ont vu quelque chose de semblable à nous mais qui ont un vécu qui est différent… Ils ont ressenti autrement.
Et c’est ça qui est intéressant. La diversité des points de vue.

Justement, diversité des points de vue, est-ce que vous avez pu avoir des lectures à plusieurs ? Donc plutôt que d’échanger en face à face, que plusieurs personnes partagent avec vous ce qu’elles ont pensé d’un film…

Oui absolument : ça ce sont les « Ciné-club sur le pouce«  comme on les appelle !
On lance une invitation par courriel : « On va voir tel film, tel jour à telle heure, qui aime nous suive! Qui aime le film évidemment, et les rencontres !« 

La première rencontre, c’était pour le film « La la Land ».
Nous étions 12 pour une première ! Dont 2 personnes qui détestaient les comédies musicales.

Et qu’ils en sont sortis enchantées ?

Qui en sont sorties surprises d’avoir aimé le film… Peut-être pas « enchantées », mais surprises d’avoir aimé le film.

Je vous fais un vilain, un très mauvais jeu de mots ! (Rires)

Oui, ce n’est pas grave !


« La la land » : scène d’ouverture ouvrant le débat


Alors, il y avait notamment cette scène d’ouverture qui est assez extraordinaire qui dure 3 minutes 47, qui pour certains avaient duré 8, 9 minutes ! Vous voyez la perception du temps. (cliquez ici pour découvrir comment a été tournée cette scène d’ouverture)

Scène extraordinaire !

(cliquez ici pour le buzz de l’étudiant invitant Emma Stone à son bal de promo !)

Oui, une séquence extraordinaire ! Effectivement !
Il y a des personnes qui ne comprenaient pas le sens cette séquence.

Et moi, j’ai vu un sens que j’ai communiqué. Qui était celui de ces personnes qui sont croisées dans un embouteillage, qui écoutent chacune une radio différente.
Et puis y en a une qui sort, qui commence à chanter
Puis une deuxième qui commence à chanter, et puis tout le monde se met à chanter, à danser…

« La la land » : embouteillage enchanté !


Parler cinéma pour recréer du lien social

On sort de l’anonymat, de sa bulle individuelle et hop ! On crée un moment collectif !
Et c’est ça un peu que j’ai voulu montrer dans ce livre.
C’est que le cinéma, la rencontre après le cinéma, les narrations qu’on en fait… C’est aussi recréer du lien social !

Donc il y a plusieurs chapitres dans votre ouvrage ?

Je dirais bien qu’il y en a 11, 12…

Vous avez fait des thèmes particuliers ? Ou bien, au fil des lectures, il faut découvrir les histoires ?

Bien j’ai essayé que ça se lise comme une histoire continue. Donc il y a un fil conducteur.
Je vous dis, il y a « Les postures du spectateur », « Les effets du film », « Le noyau vibratoire »
Puis, il y a un chapitre sur les ateliers de ciné-narration, qui sont les ateliers de cinéma thérapie où j’explique un petit peu comment on fait.
Donc ça peut-être un outil pour les thérapeutes, mais aussi pour les gens qui veulent se lancer là-dedans… Il y a aussi la relation, la narration, des « Ciné club à la carte« .

C’est quoi ce « Ciné club à la carte » ?
C’est des « ciné-clubs sur le pouce » : vous donnez rendez-vous à des gens pour voir des films ?

Oui oui c’est ça, par courriel donc.
Donc on se donne rendez-vous dans une salle et puis on discute.
On donne une heure de séance, les gens viennent, et puis après on prend un pot ensemble


Ouverture d’esprit : brio de la ciné-narration !

Le dernier film que nous avons vu c’était « Le brio » et nous étions 9.

Ah oui, un film où la parole est importante ?

La parole, les mots, pouvoir justement changer de point de vue sur l’autre
Puisque ce professeur et cette première étudiante en droit qui vient des banlieues, vont se frotter l’un à l’autre, et finalement s’apprivoiser.

On va rappeler le titre de votre ouvrage,«  Ciné-narration, une façon d’être« . On trouve ce bouquin un peu partout ?

Oui dans toutes les librairies… Même dans celles en ligne que je déteste ! Enfin, c’est là aussi ! L’éditeur c’est : « Chronique sociale » à Lyon, qui fête son centenaire cette année (2018) !

Et la Collection c’est « Comprendre des personnes »… Patrick Gilly, un tout grand merci d’être venu nous partager ce travail d’écriture et de narration !

Merci à vous!

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